Dans une lettre d’information parue le 23 décembre 2014, le site ohada.com recommandait aux Etats « de
ne pas signer systématiquement les clauses compromissoires et de ne pas
s'engager imprudemment dans une justice privée pour laquelle ils sont mal
préparés et dont ils ressortent le plus souvent grands perdants ».
La recommandation est forte. Pour mieux la saisir, il importe
de revenir sur le principe même de l’arbitrage et de passer en revue quelques
sentences arbitrales visant les Etats OHADA.
1)
L’arbitrage, qu’est ce que c’est ?
L’arbitrage est un mode alternatif de règlement de conflit.
Il suppose un règlement, loin des tribunaux et des caméras, par des personnes
privées bien connues pour leur intégrité et leur impartialité, et dont la
désignation incombe aux parties.
Concrètement, dans le cadre d’une convention d’arbitrage, les
deux parties à une relation d’affaires conviennent de soumettre leur litige
futur ou déjà né à un ou plusieurs
arbitres privés qui constituent le tribunal arbitral.
La convention d’arbitrage peut prendre la forme d’une simple
clause insérée dans le contrat des parties. On parle alors de clause
compromissoire. Mais elle peut aussi prendre la forme d’un compromis,
ce qui suppose que le conflit soit déjà né alors que le contrat initial ne
comportait pas de clause compromissoire. Et dans ce cas, par la voie d’un
compromis, les parties conviennent de soumettre leur litige à un ou plusieurs
arbitres privés.
La décision rendue par les arbitres est appelée sentence
arbitrale et doit être rendue suivant une procédure et selon les formes
convenues par les parties.
Dès lors qu’elle est rendue, la sentence arbitrale produit
les effets d’un jugement à savoir qu’elle dessaisit les arbitres, a autorité de
la chose jugée et force probante. En revanche, ayant été rendue par des
arbitres privés, elle sera soumise à une procédure particulière pour avoir la
force exécutoire d’un jugement. Il s’agit de la procédure d’exequatur. C’est une procédure visant à solliciter du
juge étatique qu’il confère force exécutoire à une sentence arbitrale rendue
par une justice privée.
Face aux problèmes de lenteurs et d’insuffisance de moyens
ainsi que de corruption rencontrés auprès des justices étatiques, le
législateur de l’OHADA a entendu promouvoir l’arbitrage comme mode alternatif
de résolution des différends en adoptant le 11 mars 1999 un acte uniforme
relatif à l’arbitrage. Ce texte est applicable à tout arbitrage dès lors que le
tribunal arbitral a son siège dans l’un des Etats partie au traité OHADA.
2)
L’expérience malheureuse des Etats OHADA face à l’arbitrage
Au sens de l’article 2 de l’acte uniforme relatif à
l’arbitrage, « Les Etats et autres
collectivités publiques territoriales ainsi que les établissements publics
peuvent également être parties à un arbitrage, sans pouvoir invoquer leur
propre droit interne pour contester l’arbitrabilité d’un litige, leur capacité
à compromettre ou la validité de la convention d’arbitrage ».
L’observation de quelques sentences arbitrales permet de
relever que dans l’espace OHADA, les Etats qui se lancent dans les procédures
d’arbitrage sont très souvent mal préparés à ces types de procédures qui se
terminent hélas par de lourdes condamnations à leur encontre. Quelques exemples
permettent d’illustrer ces propos:
1.
Guinée Equatoriale : Affaire CBGE c/ Etat de Guinée Equatoriale. Un
groupe bancaire camerounais entreprend d’installer une filiale en Guinée
Equatoriale dénommée CBGE. La Guinée agrée l’opération et une convention
d’établissement est signée entre le
groupe bancaire et elle. La convention contient
en son article 13 une clause compromissoire selon laquelle « en cas de litige et différend intervenant
entre les parties pour l’interprétation, l’exécution des présentes ou des obligations pouvant découler de la
présente convention, celles-ci doivent s’employer à les résoudre au mieux et
convient d’épuiser toutes les solutions amiables avant de les soumettre à
l’arbitrage d’un collège arbitral composé de trois membres ». Conformément
à la réglementation bancaire, la Guinée Equatoriale transmet la demande
d’agreement à l’autorité de contrôle notamment la commission bancaire de
l’Afrique centrale (COBAC) pour instruction. Au terme de l’instruction, la
COBAC émet alors un avis favorable. Alors même qu’elle est tenue de suivre
l’avis de la COBAC conformément à l’article 15 de la convention CEMAC portant
réglementation bancaire, la Guinée Equatoriale, qui a changé d’avis entre
temps, refuse la délivrance de l’agreement. En réalité les raisons avancées par
la Guinée sont plus politiques que juridiques : la Guinée, qui dispose
déjà sur son sol d’une banque à capitaux camerounais, ne souhaite pas en avoir
une deuxième. L’affaire ayant été soumise à l’arbitrage, la Cour Commune de
Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’OHADA a rendu le 24 mai 2009 une sentence
arbitrale condamnant l’Etat Equato-guinéen à verser au groupe bancaire une
colossale somme de 45 813 181 422 FCFA, soit 69 841 744
€.
2.
Bénin : affaire Benin control c/ Etat du Bénin. Dans le cadre de la mise en
œuvre d’une reforme douanière, le Benin initie un programme dit « Programme de vérification des importations ».
Un appel d’offre international est donc lancé en 2010 pour l’exécution de ce
programme et la société « Bénin
control » est désigné adjudicataire du marché. Après que la société Benin Control ait commencé l’exécution
du marché, l’Etat béninois décide unilatéralement de rompre le contrat le liant
à l’opérateur privé. S’estimant lésé, ce dernier porte le litige devant des
arbitres. Saisi, le tribunal arbitral siégeant au centre d’arbitrage de la CCJA
rend une sentence particulièrement lourde : l’Etat béninois est condamné à
verser à la société Benin control une
indemnisation de plus de 160 milliards de FCFA (environ 264 millions
d’euros). A noter que l’Etat béninois n’a même pas jugé utile de se faire
représenter auprès du tribunal arbitral.
3.
Mali : affaire Groupe TOMOTA c/ Etat du Mali. L’Etat malien décide en 2004
de la privatisation de la société huilerie
cotonnière du Mali (HUICOMA) dont il est l’actionnaire majoritaire. Un appel
d’offre est lancé et la société GROUPE TOMOTA SA est désignée adjudicataire.
L’Etat Malien cède alors à cette dernière une importante partie de ses actions
représentant 84,13% du capital social de la société HUICOMA. Accusant l’Etat de
lui avoir masqué la situation financière réelle de la société HUICOMA, et ayant
constaté, en outre, une carence de l’Etat dans l’exécution de ses obligations contractuelles
notamment l’octroi d’avantages fiscaux et douaniers, le GROUPE TOMOTA SA va
porter le différend auprès d’un tribunal arbitral siégeant à la CCJA.
Sentence : Le comportement dolosif de l’Etat malien est reconnu et, bien
qu’ayant tenté en vain de s’accrocher à l’argument de la non arbitrabilité du
litige, il est condamné à verser à la société GROUPE TOMOTA SA une somme de plus
de 24 milliards au titre de divers préjudices (voir sentence arbitrale du 8
novembre 2013, GROUPE TOMOTA SA c/ Etat du Mali, affaire n°007/2012/ARB du
17/07/2012).
4.
Guinée Conakry: affaire GETMA c/ Etat de Guinée. L’Etat Guinéen concède en 2008 à
la société GETMA, filiale de la société NECOTRANS, l’exploitation du terminal à
conteneur du port de Conakry. Reprochant par la suite à la société GETMA ce
qu’il a appelé des « manquements
notoires », l’Etat Guinéen va unilatéralement mettre fin à la
concession en 2011. La société GETMA, qui avait déjà réalisé de gros
investissements, va s’en référer aux arbitres de la CCJA. La sentence est
rendue le 22 mai 2014: Condamnation de l’Etat Guinéen à verser à la société
GETMA une somme de plus de 25 milliards de FCFA (soit plus de 38 millions
d’Euros) au titre d’indemnisations de divers préjudices dont celui né de
l’expropriation illégale de la société GETMA par l’Etat.
A travers ces exemples, on
se rend compte que beaucoup d’Etats succombent à l’arbitrage. On observe non
seulement qu’ils ont souvent tendance à rompre unilatéralement leurs
engagements au mépris des règles de droit, mais aussi qu’ils sous-estiment
quelques fois la portée d’une sentence arbitrale. Dans l’affaire CBGE c/ Guinée Equatoriale par exemple,
l’Etat, ayant refusé d’exécuter la sentence arbitrale, a sans doute été surpris
que l’avion présidentiel du chef de l’Etat Equato Guinéen fasse l’objet d’une
saisie en France après que la société CBGE ait obtenu l’exequatur de la
sentence dans ce pays.
C’est dans ce contexte de
condamnations à répétition qu’intervient l’alerte sonnée par le site internet
ohada.com.
3)
Les recommandations du site internet ohada.com
Le site internet ohada.com indique qu’il, « ne peut rester indifférent à ces condamnations très lourdes qui frappent les
Etats OHADA » puisque, poursuit
le site internet, « derrière les
Etats, ce sont les populations qui sont de facto condamnées ».
Il est alors recommandé aux
Etats :
-
De ne pas signer
systématiquement les clauses d’arbitrage et de
ne pas s'engager imprudemment dans une justice privée à r laquelle ils sont mal
préparés et dont ils ressortent le plus souvent grands perdants. Il est
même recommandé aux Etats de faire leurs meilleurs efforts pour purement et
simplement éviter de signer les clauses compromissoires.
-
Lorsque les
Etats sont condamnés, ils doivent choisir avec la plus grande attention leurs
conseils pour former dans les délais un recours en nullité, le cas échéant,
dans le cas des arbitrages OHADA, devant la CCJA.
Ces recommandations, si elles étaient suivies, devraient
éviter aux Etats des situations fâcheuses qui les conduisent à s’acquitter d’importantes
indemnités et priver ainsi leurs économies, déjà pauvres, des fonds qui
n’auraient pas été de trop dans la caisse.
Cependant, est-ce la meilleure solution de recommander aux
Etats de se détourner complètement de la procédure d’arbitrage dans un
contexte où les investisseurs ont peu d’égard pour la justice étatique régulièrement montrée du doigt comme
étant corrompue ? N’aurait-il pas été mieux indiqué d’inviter les Etats à
bien mesurer les conséquences d’une procédure d’arbitrage avant de s’y engager
et surtout de respecter leurs engagements contractuels ? Car le problème
ne nous semble pas être l’arbitrage en lui-même mais plutôt la façon dont les
Etats OHADA exécutent leurs obligations contractuelles. Et sur ce dernier
point, force est de constater, comme on l’a montré, la tentation récurrente des
Etats de se soustraire à leurs engagements.
Emmanuel Douglas FOTSO