dimanche 4 janvier 2015

Procédures d’arbitrage : Les Etats OHADA succombent, le site OHADA.com alerte !

Dans une lettre d’information parue le 23 décembre 2014,  le site ohada.com recommandait aux Etats « de ne pas signer systématiquement les clauses compromissoires et de ne pas s'engager imprudemment dans une justice privée pour laquelle ils sont mal préparés et dont ils ressortent le plus souvent grands perdants ».
La recommandation est forte. Pour mieux la saisir, il importe de revenir sur le principe même de l’arbitrage et de passer en revue quelques sentences arbitrales visant les Etats OHADA.
1)   L’arbitrage, qu’est ce que c’est ?
L’arbitrage est un mode alternatif de règlement de conflit. Il suppose un règlement, loin des tribunaux et des caméras, par des personnes privées bien connues pour leur intégrité et leur impartialité, et dont la désignation incombe aux   parties.
Concrètement, dans le cadre d’une convention d’arbitrage, les deux parties à une relation d’affaires conviennent de soumettre leur litige futur ou déjà né  à un ou plusieurs arbitres privés qui constituent le tribunal arbitral.
La convention d’arbitrage peut prendre la forme d’une simple clause insérée dans le contrat des parties. On parle alors de clause compromissoire. Mais elle peut aussi prendre la forme d’un compromis, ce qui suppose que le conflit soit déjà né alors que le contrat initial ne comportait pas de clause compromissoire. Et dans ce cas, par la voie d’un compromis, les parties conviennent de soumettre leur litige à un ou plusieurs arbitres privés.
La décision rendue par les arbitres est appelée sentence arbitrale et doit être rendue suivant une procédure et selon les formes convenues par les parties.
Dès lors qu’elle est rendue, la sentence arbitrale produit les effets d’un jugement à savoir qu’elle dessaisit les arbitres, a autorité de la chose jugée et force probante. En revanche, ayant été rendue par des arbitres privés, elle sera soumise à une procédure particulière pour avoir la force exécutoire d’un jugement. Il s’agit de la procédure d’exequatur. C’est une procédure visant à solliciter du juge étatique qu’il confère force exécutoire à une sentence arbitrale rendue par une justice privée.
Face aux problèmes de lenteurs et d’insuffisance de moyens ainsi que de corruption rencontrés auprès des justices étatiques, le législateur de l’OHADA a entendu promouvoir l’arbitrage comme mode alternatif de résolution des différends en adoptant le 11 mars 1999 un acte uniforme relatif à l’arbitrage. Ce texte est applicable à tout arbitrage dès lors que le tribunal arbitral a son siège dans l’un des Etats partie au traité OHADA.
2)   L’expérience malheureuse des Etats OHADA face à l’arbitrage
Au sens de l’article 2 de l’acte uniforme relatif à l’arbitrage, « Les Etats et autres collectivités publiques territoriales ainsi que les établissements publics peuvent également être parties à un arbitrage, sans pouvoir invoquer leur propre droit interne pour contester l’arbitrabilité d’un litige, leur capacité à compromettre ou la validité de la convention d’arbitrage ».
L’observation de quelques sentences arbitrales permet de relever que dans l’espace OHADA, les Etats qui se lancent dans les procédures d’arbitrage sont très souvent mal préparés à ces types de procédures qui se terminent hélas par de lourdes condamnations à leur encontre. Quelques exemples permettent d’illustrer ces propos:
1.                      Guinée Equatoriale : Affaire CBGE c/ Etat de Guinée Equatoriale. Un groupe bancaire camerounais entreprend d’installer une filiale en Guinée Equatoriale dénommée CBGE. La Guinée agrée l’opération et une convention d’établissement est signée entre  le groupe bancaire et elle. La convention contient  en son article 13 une clause compromissoire selon laquelle « en cas de litige et différend intervenant entre les parties pour l’interprétation, l’exécution des présentes ou des obligations pouvant découler de la présente convention, celles-ci doivent s’employer à les résoudre au mieux et convient d’épuiser toutes les solutions amiables avant de les soumettre à l’arbitrage d’un collège arbitral composé de trois membres ». Conformément à la réglementation bancaire, la Guinée Equatoriale transmet la demande d’agreement à l’autorité de contrôle notamment la commission bancaire de l’Afrique centrale (COBAC) pour instruction. Au terme de l’instruction, la COBAC émet alors un avis favorable. Alors même qu’elle est tenue de suivre l’avis de la COBAC conformément à l’article 15 de la convention CEMAC portant réglementation bancaire, la Guinée Equatoriale, qui a changé d’avis entre temps, refuse la délivrance de l’agreement. En réalité les raisons avancées par la Guinée sont plus politiques que juridiques : la Guinée, qui dispose déjà sur son sol d’une banque à capitaux camerounais, ne souhaite pas en avoir une deuxième. L’affaire ayant été soumise à l’arbitrage, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’OHADA a rendu le 24 mai 2009 une sentence arbitrale condamnant l’Etat Equato-guinéen à verser au groupe bancaire une colossale somme de 45 813 181 422 FCFA, soit 69 841 744 €.
2.                      Bénin : affaire Benin control c/ Etat du Bénin. Dans le cadre de la mise en œuvre d’une reforme douanière, le Benin initie un programme dit « Programme de vérification des importations ». Un appel d’offre international est donc lancé en 2010 pour l’exécution de ce programme et la société « Bénin control » est désigné adjudicataire du marché. Après que la société Benin Control ait commencé l’exécution du marché, l’Etat béninois décide unilatéralement de rompre le contrat le liant à l’opérateur privé. S’estimant lésé, ce dernier porte le litige devant des arbitres. Saisi, le tribunal arbitral siégeant au centre d’arbitrage de la CCJA rend une sentence particulièrement lourde : l’Etat béninois est condamné à verser à la société Benin control une indemnisation de plus de 160 milliards de FCFA (environ 264 millions d’euros). A noter que l’Etat béninois n’a même pas jugé utile de se faire représenter auprès du tribunal arbitral.

3.                      Mali : affaire Groupe TOMOTA c/ Etat du Mali. L’Etat malien décide en 2004 de la privatisation de la société huilerie cotonnière du Mali (HUICOMA) dont il est l’actionnaire majoritaire. Un appel d’offre est lancé et la société GROUPE TOMOTA SA est désignée adjudicataire. L’Etat Malien cède alors à cette dernière une importante partie de ses actions représentant 84,13% du capital social de la société HUICOMA. Accusant l’Etat de lui avoir masqué la situation financière réelle de la société HUICOMA, et ayant constaté, en outre, une carence de l’Etat dans l’exécution de ses obligations contractuelles notamment l’octroi d’avantages fiscaux et douaniers, le GROUPE TOMOTA SA va porter le différend auprès d’un tribunal arbitral siégeant à la CCJA. Sentence : Le comportement dolosif de l’Etat malien est reconnu et, bien qu’ayant tenté en vain de s’accrocher à l’argument de la non arbitrabilité du litige, il est condamné à verser à la société GROUPE TOMOTA SA une somme de plus de 24 milliards au titre de divers préjudices (voir sentence arbitrale du 8 novembre 2013, GROUPE TOMOTA SA c/ Etat du Mali, affaire n°007/2012/ARB du 17/07/2012).
4.                      Guinée Conakry: affaire GETMA c/ Etat de Guinée. L’Etat Guinéen concède en 2008 à la société GETMA, filiale de la société NECOTRANS, l’exploitation du terminal à conteneur du port de Conakry. Reprochant par la suite à la société GETMA ce qu’il a appelé des « manquements notoires », l’Etat Guinéen va unilatéralement mettre fin à la concession en 2011. La société GETMA, qui avait déjà réalisé de gros investissements, va s’en référer aux arbitres de la CCJA. La sentence est rendue le 22 mai 2014: Condamnation de l’Etat Guinéen à verser à la société GETMA une somme de plus de 25 milliards de FCFA (soit plus de 38 millions d’Euros) au titre d’indemnisations de divers préjudices dont celui né de l’expropriation illégale de la société GETMA par l’Etat.
A travers ces exemples, on se rend compte que beaucoup d’Etats succombent à l’arbitrage. On observe non seulement qu’ils ont souvent tendance à rompre unilatéralement leurs engagements au mépris des règles de droit, mais aussi qu’ils sous-estiment quelques fois la portée d’une sentence arbitrale. Dans l’affaire CBGE c/ Guinée Equatoriale par exemple, l’Etat, ayant refusé d’exécuter la sentence arbitrale, a sans doute été surpris que l’avion présidentiel du chef de l’Etat Equato Guinéen fasse l’objet d’une saisie en France après que la société CBGE ait obtenu l’exequatur de la sentence dans ce pays.
C’est dans ce contexte de condamnations à répétition qu’intervient l’alerte sonnée par le site internet ohada.com.
3)   Les recommandations du site internet ohada.com
Le site internet ohada.com indique qu’il, « ne peut rester indifférent à ces condamnations très lourdes qui frappent les Etats OHADA » puisque, poursuit le site internet, « derrière les Etats, ce sont les populations qui sont de facto condamnées ».
Il est alors recommandé aux Etats :
-          De ne pas signer systématiquement les clauses d’arbitrage et de ne pas s'engager imprudemment dans une justice privée à r laquelle ils sont mal préparés et dont ils ressortent le plus souvent grands perdants. Il est même recommandé aux Etats de faire leurs meilleurs efforts pour purement et simplement éviter de signer les clauses compromissoires.
-          Lorsque les Etats sont condamnés, ils doivent choisir avec la plus grande attention leurs conseils pour former dans les délais un recours en nullité, le cas échéant, dans le cas des arbitrages OHADA, devant la CCJA.
Ces recommandations, si elles étaient suivies, devraient éviter aux Etats des situations fâcheuses qui les conduisent à s’acquitter d’importantes indemnités et priver ainsi leurs économies, déjà pauvres, des fonds qui n’auraient pas été de trop dans la caisse.
Cependant, est-ce la meilleure solution de recommander aux Etats de se détourner complètement de la procédure d’arbitrage dans un contexte où les investisseurs ont peu d’égard pour la justice  étatique régulièrement montrée du doigt comme étant corrompue ? N’aurait-il pas été mieux indiqué d’inviter les Etats à bien mesurer les conséquences d’une procédure d’arbitrage avant de s’y engager et surtout de respecter leurs engagements contractuels ? Car le problème ne nous semble pas être l’arbitrage en lui-même mais plutôt la façon dont les Etats OHADA exécutent leurs obligations contractuelles. Et sur ce dernier point, force est de constater, comme on l’a montré, la tentation récurrente des Etats de se soustraire à leurs engagements.
Emmanuel Douglas FOTSO

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